Depuis les accords de Bretton Woods en 1945, le monde entier est forcĂ© dâutiliser le dollar pour acheter des hydrocarbures. Pourtant, depuis les derniĂšres dĂ©cennies, un vent de contestation souffle de plus en plus fort contre cet Ă©tat de fait. Ă tel point quâil nâest pas impossible que le roi pĂ©trodollar puisse ĂȘtre un jour dĂ©chu.
AprĂšs autant de sanctions de la part de lâOccident, la Russie tente par tous les moyens de continuer Ă vendre son gaz Ă lâĂ©tranger. Ăvidemment, son Ă©conomie a sĂ©rieusement besoin de rentrĂ©es dâargent pour Ă©quilibrer sa balance commerciale. Et les mesures quâelle prend sont une tentative de dĂ©trĂŽner le pĂ©trodollar, ni plus ni moins.
La dette publique russe
La Russie est lâun des pays ayant la dette publique la plus faible au monde, comparĂ©e Ă son PIB. Contrairement Ă lâOccident qui vit littĂ©ralement sur la dette publique, la Russie a rĂ©ussi le tour de force de sâen dĂ©barrasser presque totalement.
OĂč donc se trouve la Russie sur cette spirale du monde de la dette ? (dĂ©solĂ©, câest en anglais : Russia)
Indice : la Russie se trouve Ă lâextrĂȘme pĂ©riphĂ©rie, en bas Ă droite. Source : Visual Capitalist
On a entendu parler dâun dĂ©faut possible de la Russie, mais trĂšs sincĂšrement ça me paraĂźt ĂȘtre de la propagande. Oui, bien sĂ»r, les sanctions ainsi que les dĂ©penses liĂ©es Ă la guerre vont sacrĂ©ment handicaper son Ă©conomie. LâUnion EuropĂ©enne rigole en ce moment, en appliquant les sanctions ordonnĂ©es par les AmĂ©ricains, les unes aprĂšs les autres. Entre nous, je me demande combien de temps cela va durer. Cette simple image rĂ©sume la situation.

Les sanctionsâŠ
Lâusage de sanctions Ă©conomiques est assez rĂ©pandu, pourtant leur effet rĂ©el est plutĂŽt controversĂ©. Tout dâabord, les perspectives de sanctions, aussi dures soient-elles, nâont pas empĂȘchĂ© Poutine dâenvahir lâUkraine. Ensuite, ceux qui prennent les sanctions de plein fouet sont les plus pauvres, pas les Ă©lites. On sait parfaitement que le rĂ©sultat principal des sanctions Ă©conomiques en gĂ©nĂ©ral est dâaugmenter la pauvretĂ©.
Quant Ă ce milliardaire qui se plaint quâil ne peut plus payer sa bonne, je ne verserai pas une larme pour lui. Au passage, la plupart des oligarques russes Ă©taient en faveur de la guerre, car beaucoup craignaient de perdre du terrain si lâUkraine venait Ă prendre ses distances avec la Russie.
Mais surtout, il semblerait que lâOccident ait Ă©puisĂ© toutes ses cartouches dâun coup. Ce nâĂ©tait certainement pas une tactique trĂšs maline, car nous nous retrouvons maintenant dĂ©munis et sans aucun levier supplĂ©mentaire face Ă la Russie. Cela a laissĂ© Ă lâ« ennemi » le temps dâĂ©laborer une contre-offensive adĂ©quate. Franchement, nâimporte qui avec une paire de neurones sait quâil ne faut pas jouer toutes ses cartes dâun coup. On dirait que ça ne fait pas partie des cours Ă Science Po ou lâENA. Quoi, ils ne jouaient mĂȘme pas aux cartes entre les cours, lĂ -bas ?

⊠ne servent à rien
Bien sĂ»r, on peut se dire que faire crever les populations de faim peut les inciter Ă se retourner contre leurs dirigeants. RĂ©flĂ©chissons trois secondes. MĂȘme dans nos « dĂ©mocraties », si notre gouvernement dĂ©cide de se lancer dans une guerre, nous nâavons aucun poids pour lâen empĂȘcher. Dâailleurs, nos gouvernements prennent des mesures suicidaires envers la Russie, et nous ne pouvons rien y faire. Comment donc imaginer un instant que les Russes aient une quelconque chance dâarrĂȘter Vladimir Vladimirovitch Poutine ?
Mais il y a pire encore. Ces sanctions, particuliĂšrement violentes, sont le prĂ©texte parfait pour un dictateur de justifier ses actions. « Voyez comme nos ennemis sont haineux. Voyez comme jâai bien raison de vous en protĂ©ger ! »
Il semblerait que nous soyons dirigĂ©s par des imbĂ©ciles sans un soupçon de bon sens. Ă moins peut-ĂȘtre quâune guerre les arrange bien, histoire de dĂ©tourner les esprits des problĂšmes internes dans leur propre pays. Une Ă©conomie chancelante et un systĂšme financier au bord de lâimplosion. Ou bien, dans le cas des Ătats-Unis, un budget militaire de plus de 700 milliards de dollars par an, qui paraĂźt bien excessif et difficile Ă justifier, surtout aprĂšs sâĂȘtre retirĂ© dâAfghanistan.
La Russie amasse de lâor
Pendant les deux derniĂšres dĂ©cennies, des pays comme la France ou la Suisse se sont massivement dĂ©barrassĂ©s de leur or. Ă lâinverse, la Russie et la Chine ont amassĂ© ce mĂ©tal Ă un rythme sans prĂ©cĂ©dent.
Beaucoup de pays occidentaux se dĂ©barrassent de leur or, tandis que la Russie et la Chine remplissent leur stock Ă toute vitesse. Source : lâIMF.
Par ailleurs, la Russie a la deuxiĂšme rĂ©serve dâor dans ses sous-sols au niveau mondial, juste derriĂšre lâAustralie.

Il est clair que la Russie a prĂ©vu de se protĂ©ger contre dâĂ©ventuelles sanctions grĂące Ă son stock massif dâor. Sans surprise, les Ătats-Unis tentent de bannir toute transaction impliquant de lâor avec la Russie. Le problĂšme est que, contrairement Ă un systĂšme numĂ©rique avec lequel il suffit de cliquer sur un bouton, il est quasiment impossible de bannir les transactions en or. Câest un actif intraçable qui peut ĂȘtre Ă©changĂ© physiquement, fondu et transformĂ©.
Valeur du rouble
Note prĂ©liminaire : SWIFT est un systĂšme Ă©lectronique qui permet aux banques dâĂ©changer de la monnaie dans le monde entier. Lâessentiel du commerce mondial passe par lĂ . Ă cause de son monopole, certains pays, comme la Russie, dĂ©veloppent depuis quelques temps dĂ©jĂ des systĂšmes alternatifs. Par ailleurs, il est de notoriĂ©tĂ© publique que les AmĂ©ricains nâhĂ©sitent pas Ă tout faire pour siphonner les informations qui transitent par ce systĂšme⊠contre le terrorisme, bien sĂ»r.
Les sanctions de lâOccident, y compris le bannissement de la Russie du rĂ©seau SWIFT, ont sĂ©rieusement affaibli le rouble. Pour la petite histoire, couper un pays entier de SWIFT est sans prĂ©cĂ©dent. Des banques iraniennes ont subi ce genre de sanctions dans les affaires du nuclĂ©aire iranien, mais un tel ostracisme dâun pays entier nâa jamais eu lieu. Pourtant, cela nâa pas arrĂȘtĂ© la guerre pour autant.
De plus, un autre de type de sanctions dont on parle peu proviennent des agences de notation. Elles ont baissĂ© la note de la Russie, ce qui a pour effet dâaugmenter les intĂ©rĂȘts pour obtenir de la monnaie. Câest une sanction qui ne dit pas son nom, dâimportance capitale, si je puis dire. Et elle vient exactement des mĂȘmes acteurs occidentaux que les autres sanctions, puisque les agences de notation sont dirigĂ©es par les mĂȘmes que les requins du systĂšme financier de toute façon.
En consĂ©quence, la Russie est face Ă une menace de taille : lâeffondrement possible du rouble. Ce pourrait ĂȘtre une bĂ©nĂ©diction pour un pays croulant sous les dettes, mais ce nâest pas le cas de la Russie. La dĂ©prĂ©ciation du rouble signifie que la Russie risque dâavoir du mal Ă importer des produits Ă prix acceptable pour sa population.
Le levier de lâĂ©nergie
MalgrĂ© tout, en dĂ©pit du bannissement total de SWIFT, lâAllemagne a immĂ©diatement levĂ© la voix : hors de question de bannir les paiements pour le gaz russe, câest une question de vie ou de mort pour les Allemands en plein hiver. Ainsi, tous les paiements sont suspendus, sauf ceux pour le gaz. TrĂšs pratique.
Au passage, cela laisse dâautant plus songeur. Sâils se prĂ©paraient Ă cette guerre depuis longtemps, pourquoi les Russes nâont-ils pas attaquĂ© lâUkraine en novembre dernier ? Ils auraient eu une carte dâautant plus forte Ă jouer avec le gaz pendant tous les mois dâhiver. Par ailleurs, ils adorent le froid et ils auraient Ă©galement pu utiliser le sol gelĂ© pour dĂ©ployer leurs tanks et autres vĂ©hicules par les champs plutĂŽt que dâĂȘtre coincĂ©s comme ils lâont Ă©tĂ© sur les routes. Peut-ĂȘtre nâont-ils pas eu le temps de peindre leurs chars en blanc ?
En tout cas, une chose est sĂ»re : lâUnion EuropĂ©enne ne peut se passer totalement du gaz russe, câest une question de survie. Certains experts affirment dâailleurs que mĂȘme le gaz amĂ©ricain ne peut ĂȘtre une alternative pour au moins les 10 prochaines annĂ©es. Lâinfrastructure nĂ©cessaire, y compris les bateaux eux-mĂȘmes, est massive. En effet, la totalitĂ© des bateaux gaziers dans le monde peut actuellement livrer environ un milliard de mĂštres cubes de gaz par an. LâUE en consomme 150 milliards par an.
Poutine est donc en train de tirer parti du talon dâAchille de lâEurope pour sauver le rouble. En dâautres termes, il dit clairement : vous voulez me mettre des sanctions, eh bien je vous propose un deal que vous ne pouvez pas refuser, et qui va annuler vos sanctions. Et du cĂŽtĂ© europĂ©en, on a dĂ©jĂ Ă©puisĂ© toutes nos cartouches.
Le pétrodollar
Pour rappel, depuis la fin de la DeuxiĂšme Guerre Mondiale, les hydrocarbures sâachĂštent uniquement en dollars. Les dollars accumulĂ©s par le vendeur sâappellent alors des « pĂ©trodollars ». Aucun moyen de passer outre, et ceux qui ont essayĂ©, comme Saddam Hussein ou Mouammar Khaddafi, ont rencontré⊠quelques problĂšmes « mineurs », menant Ă leur dĂ©cĂšs.
Mais les BRICS ne sont pas lâIrak ou la Libye. La Chine paie dĂ©jĂ une partie de son gaz Ă la Russie en petroyuan plutĂŽt quâen dollars depuis 2017. Pire encore, lâArabie Saoudite, pourtant alliĂ©e de longue date aux Ătats-Unis, dĂ©clare rĂ©cemment quâelle aussi est prĂȘte Ă accepter le petroyuan. Câest un vĂ©ritable tremblement de terre gĂ©opolitique dont peu de monde parle.
En tout cas, la manĆuvre de Poutine semble fonctionner, la chute du rouble a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e. En effet, si on se met Ă acheter du rouble afin de pouvoir acheter du gaz russe, cela augmente la demande, et donc la valeur, du rouble.
Dans le mĂȘme temps, les dollars que tout le monde sâarrachait pour acheter des hydrocarbures perdent une partie de leur utilitĂ©, ce qui a Ă©videmment un impact sur la valeur du dollar. Bien entendu, si on ne parle que du gaz russe, lâimpact est nĂ©gligeable. Mais si dâautres acteurs majeurs dans le monde se mettent Ă suivre la tendance et prĂ©fĂ©rer dâautres monnaies pour Ă©changer, les dollars actuellement en circulation vont retourner aux Ătats-Unis, ce qui risque dâaugmenter encore un peu plus la tendance inflationniste actuelle.
Les cryptomonnaies
En 2017, je prĂ©venais dĂ©jĂ dans mon livre « La monnaie : ce quâon ignore » que les Russes sâintĂ©ressaient de prĂšs aux cryptomonnaies. Typiquement, la Banque Centrale de la FĂ©dĂ©ration de Russie sâaffaire Ă crĂ©er une monnaie digitale fĂ©dĂ©rale.
Ăvidemment, cette monnaie ne serait pas une cryptomonnaie dĂ©centralisĂ©e. La Russie est bien sĂ»r opposĂ©e Ă des systĂšmes dont elle pourrait perdre le contrĂŽle, au moins en partie.
Mais lĂ encore, le principe de rĂ©alitĂ© prĂ©vaut : le Kremlin cherche Ă vendre son gaz coĂ»te que coĂ»te. Y compris avec des cryptomonnaies. Mais cela reste le privilĂšge des pays « amis ». Câest une nouveautĂ©, car les cryptomonnaies ont mĂȘme Ă©tĂ© bannies un temps du sol russe.
La planche Ă billets
Mes lecteurs savent dĂ©jĂ que le nombre dâeuros et de dollars en circulation a explosĂ© de maniĂšre exponentielle ces derniĂšres dĂ©cennies. Typiquement, la masse monĂ©taire en euros a doublĂ© chaque dĂ©cennies depuis sa crĂ©ation. Pas Ă©tonnant que lâinflation pointe finalement le bout de son nez !
 
Le rouble or
Depuis les rĂ©ponses russes aux sanctions, les pays occidentaux nâont plus le choix. Ils vont devoir payer leur gaz en roubles ou⊠en or. Et ce, Ă partir du 31 mars 2022. Ah, certes, des voix sâĂ©lĂšvent pour dire que les contrats sont clairs et quâon ne peut les changer. On verra ce quâon verra le jour oĂč les Russes finiront par couper le gaz.
Mais ce nâest pas tout ! Par ailleurs, la banque centrale russe indique quâelle est prĂȘte Ă acheter de lâor avec des roubles Ă un taux fixe. Dâune certaine maniĂšre, cela revient Ă fixer un Ă©talon or. Câest un message clair au monde que le rouble nâest pas comme les monnaies occidentales créées sur du vent.
La Russie semble donc vouloir faire un appel au retour de lâĂ©talon or. Elle lance aussi un signal Ă tout investisseur que les sanctions peuvent ĂȘtre sans limite. LâOccident peut saisir tout ce quâil a sous la main Ă tout instant et sous nâimporte quel prĂ©texte. Le message est clair : « Ne faites pas confiance aux banques occidentales, ne vous laissez pas impressionner par les marchĂ©s occidentaux extrĂȘmement volatiles et qui peuvent sâĂ©vaporer en un instant ; non, pariez plutĂŽt pour la valeur sĂ»re quâest lâor, ou bien mĂȘme son Ă©quivalent, le rouble. »
Les étalons échouent toujours
Sur le court terme, on peut dire que ces actions peuvent payer, en particulier en rĂ©ponse aux sanctions. En revanche, cela pourrait sâavĂ©rer nĂ©faste sur le long terme.
Dans la culture populaire, il y a une vision manichĂ©enne avec une vision en noir et blanc. Dâun cĂŽtĂ©, des monnaies créées sur « du vent », sans valeur. De lâautre, des monnaies adossĂ©es à « du concret », typiquement de lâor. Malheureusement, lâhistoire a montrĂ© que les Ă©talons, en particulier sur lâor, sont particuliĂšrement ravageurs.
Rappelons-nous ce qui est arrivĂ© avec lâĂ©talon or des dollars dans la deuxiĂšme moitĂ© du XXĂšme siĂšcle. Son abandon par Nixon en 1971 a causĂ© les crises pĂ©troliĂšres des annĂ©es 1970. Au XIXĂšme siĂšcle ainsi quâau dĂ©but du XXĂšme siĂšcle, les monnaies basĂ©es sur lâor ont causĂ© beaucoup de misĂšre dans les populations. Plus rĂ©cemment, la chute du bolivar vĂ©nĂ©zuĂ©lien est due Ă un Ă©talon fixĂ© par le gouvernement entre le bolivar et le dollar.
Je pense que cette histoire de « 5000 roubles = 1 once dâor » est du grand spectacle. Câest un message au monde, un rappel cinglant que bĂątir toute une Ă©conomie sur de la dette est extrĂȘmement risquĂ©.
Une recette contre la guerre
Ceci est tirĂ© dâun groupe constituant, et narrĂ© par Ătienne Chouard. Ce dernier nous rappelle sans cesse quâil est absurde de laisser les politiciens Ă©crire le texte qui est censĂ© les contrĂŽler. Câest un peu comme dĂ©signer son chien comme gardien du sandwich. DĂ©solĂ© pour les chiens qui lisent cela, je sais que votre queue remue dĂ©jĂ .
Voici une recette simple pour éviter la guerre. Si tous les pays adoptaient cette rÚgle, nous vivrions sans aucun doute dans un monde en paix.
- Aucune guerre ne peut ĂȘtre dĂ©clarĂ©e sans un rĂ©fĂ©rendum ouvert.
- Au cas oĂč le « oui » lâemporterait pour la guerre, quiconque a rĂ©pondu « oui » se voit attribuĂ© un fusil et doit aller au front illico. Aucune obligation pour quiconque a votĂ© « non ».
- Une fois que les premiers ont Ă©tĂ© tuĂ©s, on refait un rĂ©fĂ©rendum pour savoir sâil y a de nouveaux volontaires pour continuer la guerre.
- Retour à la case départ.